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Entreprises multinationales et zones de non droit

Comment obliger les entreprises multinationales (EMN) à respecter les droits fondamentaux? Quelles sont les ressources et les potentialités du droit international, du droit régional et des différents droits nationaux des droits de l’Homme dans la gestion des agissements de ces entreprises ? Quels sont les enjeux du débat sur la responsabilité sociale des EMN ? Que penser de l’efficacité d’outils tels que les codes de bonne conduite ? En somme quels sont les moyens juridiques qu’on peut mettre en œuvre pour contrôler l’action des EMN ?
A ce jour, aucune réponse concrète ne peut être apportée à l’ensemble de ces questions. En effet, pour reprendre la formule du président de la sous-commission de la promotion et de la protection des droits de l’Homme à l’ONU, monsieur El Hadji Guissé, la mondialisation de l’économie a créé un espace de non droit dans lequel les EMN, uniquement préoccupées par leur profit immédiat, évoluent librement, investissent où bon leur semble sans se soucier des conséquences environnementales ou sociales de leurs actes. L’avènement du nouvel ordre mondial accentue cette tendance. Celui-ci, en privilégiant la libéralisation de l’économie, considère de plus en plus les droits des travailleurs et les principes de l’environnement comme une barrière au libre échange, et confère aux EMN un pouvoir extraordinaire tout en leur permettant d’ignorer toute responsabilité si ce n’est celle qu’elles assument envers leurs actionnaires. Alors que dans les années 70 on craignait de la part des EMN une ingérence de plus en plus excessive dans les affaires des pays en voie de développement, on constate aujourd’hui qu’elles ne parviennent même pas à contrôler les pratiques de leurs filiales à l’étranger. Bien qu’elles soient souvent plus puissantes et plus riches que bon nombre de gouvernement, elles ne se reconnaissent pas l’obligation morale d’employer cette puissance et cette richesse pour améliorer les conditions de vie des populations dans les pays où elles développent leurs activités.
Afin d’atténuer les méfaits des EMN, de nombreux instruments ont été mis en place sur le plan international, mais en pratique ils se sont avérés totalement inefficaces. Les EMN n’ont d’ailleurs aucun scrupule à les ignorer, surtout dans les pays du Sud où les mécanismes nationaux de responsabilisation sont rares, et où l’accès à la justice pour les simples citoyens est difficile, et où les gouvernements sont prêts à s’entendre avec ces entreprises pour préserver les bénéfices que ces dernières apportent à leur économie.
Face à cette situation, avocats, syndicats et organisations de défense des droits de l’Homme se retrouvent dans une impasse. Le caractère non contraignant des directives ou codes de bonne conduite adoptés par un certain nombre d’organismes internationaux (Union Européenne. OCDE, OIT…) les vide de leur sens. La dernière tentative qui a su retenir mon attention en la matière, en tout cas par son originalité, c’est celle effectuée par le secrétaire général de l’ONU, M Kofi Annan en janvier 1999 au Forum économique de Davos qui réunit tous les ans l’élite internationale de la politique et des affaires. En effet, lors de cette rencontre, M Annan a lancé l’idée d’un partenariat entre l’organisation qu’il préside et les milieux d’affaires. Baptisé Global Compact ou Pacte global, cette initiative prenait en compte les difficultés de certaines économies face aux entreprises multinationales, et la limite des effets de la mondialisation en matière de progrès social et la montée de l’opposition internationale à cette même mondialisation. Avec le Pacte global, M Annan entend pousser l’élite du secteur privé à faire preuve de civisme en participant aux côtés de l’ONU, de ses agences spécialisées et des organisations non gouvernementales concernées à la mise en œuvre de valeurs universelles communes en « unissant la force des marchés à l’autorité des idéaux universels ». global compact propose, dans les domaines des droits de la personne, du travail et de l’environnement, l’adhésion à neuf grands principes inscrits dans la déclaration universelle des droits de l’Homme, dans celle du Bureau international du travail, ainsi que dans les résolutions des sommets de Rio sur l’environnement (1992) et de Copenhague sur les questions sociales (1995). Selon l’ONU, le Pacte global est l’effort le plus ambitieux sur le plan international pour établir des relations de travail entre l’ONU, le secteur privé et les mouvements de citoyens. Ce n’est pas un code de bonne conduite mais un cadre de référence et de dialogue destiné à faciliter la convergence entre les pratiques du secteur privé et les valeurs universelles dont l’ONU est le garant. La généralité des termes permet de douter de l’efficacité supposée du Pacte global, qu’une coalition d’organisations non gouvernementales regarde avec suspicion le considérant comme un moyen qui permet à des sociétés connues pour leu> violations des droits de l’homme et de l’environnement de «bleuir» leur image en se drapant de la bannière des Nations Unies. C’est vous dire le désarroi des acteurs internationaux face aux EMN.